mercredi 14 septembre 2011

Interview de Marième KANE à Wal fadjri


MARIEME KANE, PRESIDENTE DE L'ASSOCIATION DES FEMMES MAURITANIENNES DU FLEUVE (AFMAF) : ‘Nos autorités sont têtues’


Wal Fadjri : C'est votre énième manifestation pour demander aux autorités mauritaniennes d'arrêter le recensement en cours en Mauritanie. Pourquoi votre pression n'est-elle pas ressentie par vos autorités ?


Marième KANE : Parce que simplement, elles sont têtues et elles croient qu'on va lâcher (prise) parce que nous en avions l'habitude. Mais nous sommes déterminées à aller jusqu'au bout, parce que nous sommes unies dans notre lutte.


Est-ce que le recensement n'est pas une bonne chose dans ses objectifs ?

C'est une bonne chose objectivement. Mais en excluant les Noirs, ça devient une mauvaise chose parce qu'on deviendra des apatrides à la fin. C'est pourquoi, nous nous battons pour notre survie et l'avenir de nos enfants. On demande aux Noirs le certificat de décès de leurs parents. Il faut que ça cesse ; alors qu'on ne demande rien aux Maures. C'est du racisme pur et simple. C'est ça le problème. La communauté maure est recensée par rapport à sa peau ; alors que pour la communauté noire, il faut prouver la ‘mauritanité’ de ses parents, de ses grands-parents. C'est une humiliation et elle est quotidienne. C'est pourquoi, on ne l'accepte pas.


Est-ce que cela persiste toujours ?

Paraît-il qu'ils ont allégé un peu, mais nous voulons que ça soit légal et que ça soit une justice pour tout le monde. Nous voulons qu'on demande les mêmes justificatifs à tout le monde. Pas seulement aux Noirs. Il n'y a pas de Peul, de Wolof, de Hassania, de Baïdane ! Que tout le monde soit recensé dans les mêmes conditions.


C'est-à-dire ?

Si on demande au Noir une pièce d'identité, on doit le faire aussi avec un Maure. Mais ce n'est pas normal d’exiger aux Noirs des pièces qu'on ne demande pas aux Maures. Sinon, nous allons nous battre par tous les moyens locaux pour obliger nos autorités à appliquer les conditions à tout le monde. Nous ne voulons pas perdre notre nationalité.


Avez-vous prévu d'aller manifester en Mauritanie ?

Nous l'avons prévu parce qu'il y a des gens qui sont prêts pour ça. Pour le moment, nous coordonnons avec nos compatriotes qui sont sur place et nous synchronisons nos manifestations avec ceux des Etats-unis, de la Belgique. Et nous demandons à tous les Mauritaniens qui sont dans le monde de manifester pour exiger l'arrêt de l'enrôlement.


Quel est objectif de votre association ?

C'est de travailler avec les déportés afin d'améliorer leurs conditions de vie. Nos avons creusé des puits, aménagé des terres pour faire du maraîchage. C'est vrai qu'il y a des déportés qui sont rentrés, mais il en reste toujours cinq mille au Sénégal. Et ceux qui sont rentrés sont toujours des réfugiés, parce qu'ils habitent sous des bâches. On veut mettre fin à cela en aidant à s'insérer dans la vie économique. Nous voulons aussi aider leurs enfants à aller dans les écoles parce qu'ils n'y vont pas parce qu'il n'y a pas d'écoles. Il y a aussi la questions des latrines qui posent problèmes. (…). C'est vraiment inhumain ce qu'ils subissent. Paraît-il qu'ils ont cinq mille ouguiyas par moi. Ce qui ne peut pas faire vivre une famille. C'est pour vous dire qu'ils vivent l'humiliation quotidiennement. C'est pourquoi, ils ne peuvent pas se révolter. (…).

Recueillis par M. BARRY